Leadership au féminin PASCALE DE BLOIS

 CCIRS : Faire sa place comme directrice générale d’un concessionnaire automobile, c’est plutôt rare pour une femme. Qu’est-ce qui vous a motivé à gravir les échelons ?

PD : J’ai été inspirée par ma mère. Lorsque j’étais jeune, elle était à la maison. Mais à un certain moment, elle a eu cette envie de démarrer sa propre entreprise. Elle a possédé un commerce de jouets spécialisé et de jeux éducatifs. De la voir s’épanouir là-dedans m’a donné le goût de gérer un commerce moi aussi. L’arrivée de la direction générale dans mon parcours reste toutefois un concours de circonstances.

C’est entre deux sessions à l’université qu’une directrice des ventes d’un concessionnaire automobile m’a fait rencontrer Pierre Trudel. Sans faire de mauvais jeu de mots; ce fut ma bougie d’allumage ! À l’époque, c’était très payant le monde de l’automobile : cette femme m’a fait comprendre que je ne gagnerais jamais le salaire que j’aurais dans le domaine de l’automobile en sortant de l’université. Je suis donc entrée dans un concessionnaire et après un an, on me donnait déjà des responsabilités. Il faut croire que j’avais le potentiel. J’avais beaucoup d’intérêt et de motivation et c’est comme ça je suis devenue adjointe, puis directrice des ventes.

À 33 ans, j’avais l’ambition de devenir directrice générale, à défaut de pouvoir devenir propriétaire d’un concessionnaire. Je vous avoue que c’était hors de prix, et ce l’est toujours aujourd’hui. À mon arrivée chez Groupe Scotti, j’ai pris soin d’adresser mes intentions : je tenais à opérer le concessionnaire, et assumer les bons comme les moins bons coups.

 CCIRS : Comment une femme de 33 ans arrive-t-elle à se tailler une place à la direction générale dans un milieu typiquement masculin ?

PD : Lorsque j’étais directrice adjointe, il y a eu plusieurs changements et on m’a offert le poste de directrice générale. On a eu confiance en moi et en mes capacités. J’étais habitée par une volonté inébranlable et je pouvais me fier sur ma force de caractère. Je savais que c’était ce que je voulais faire. Par la suite, j’ai créé mes propres opportunités.

Dans ce milieu-là, la compétition et les résultats sont les moteurs principaux de motivation. Il faut que ça corresponde à ta personnalité, et ce fut le cas pour moi. Mon premier mandat fut de déménager la concession. Ce fut tout un défi à relever ! Mais j’avais confiance en mes aptitudes et j’étais convaincue de la réussite. J’étais rendue là.

 CCIRS : Quelle était la place des femmes à votre arrivée dans le domaine ?

PD : Il n’y avait presque pas de femmes, en fait. Je suis très reconnaissance envers Yves Désormaux, le premier directeur qui m’a embauchée.

 CCIRS : Comment peut-on expliquer que ce fût si long avant que les femmes se taillent une place dans ce domaine ?

PD : Je dirais qu’un des gros freins demeure les horaires de travail. Comme les salles de montre sont ouvertes de 9 h à 21 h et qu’il faut être prêt à travailler de 3 à 4 soirs par semaine, ça élimine beaucoup de candidats potentiels; dont les femmes. Quand on veut une famille, ça complique les choses – quoi qu’actuellement, les hommes aussi demandent des soirs de libres ou une semaine sur deux.

Comme les ventes sont souvent la porte d’entrée pour les postes de gestion, ça explique aussi pourquoi il y a peu de femmes occupant le rôle de directrice. Il y en a quelques-unes qui tentent leur chance, mais elles nous quittent quand le temps vient de fonder une famille.

 CCIRS : Qu’est-ce que ça prend pour faire sa place dans le milieu de l’automobile en étant une femme ?

PD : Il faut être à l’aise de travailler avec des objectifs et avoir le goût de la performance. Heureusement, il y a des femmes qui sont très à l’aise avec ça. Ce que je remarque entre les hommes et femmes, c’est la rigueur au travail. Les femmes ont beaucoup de rigueur. Celles qui s’investissent et qui restent connaissent beaucoup succès et elles ont beaucoup de références. Dans l’industrie, lorsqu’une vente est faite, le fabricant sonde les clients sur les services reçus et ce sont les femmes qui ont les meilleurs résultats.

 CCIRS : Qu’avez-vous trouvé le plus difficile dans votre parcours ?

PD : Je dirais que c’est tout ce qui est relatif aux ressources humaines. Comme c’est un milieu très compétitif, il y a énormément de spéculations et de guerres d’égos. Parce que nous faisons partie d’une franchise, il y a un suivi très serré des résultats, chaque mois. Nous sommes continuellement en comparaison les uns avec les autres et les résultats sont vus par tout le monde. Si tu as un mauvais mois, tout le monde le sait et ça attise la compétition.

Les fabricants tentent de motiver les équipes en comparants les concessionnaires entre eux, et je trouve cela difficile. Qu’on le veuille ou non, pour rester dans le coup, il faut jouer ce jeu-là et je suis moins à l’aise avec ça. J’ai envie d’être honnête, de pouvoir le dire si ça va bien ou si ça va moins bien… pas de devoir embellir la vérité.

 CCIRS : Diriez-vous que ce comportement est plus adopté par les hommes de ce milieu que les femmes ?

PD : C’est plutôt rare que des femmes adoptent ce comportement, mais ça arrive. C’est un domaine où ça joue énormément du coude. Une femme qui performe bien dans une équipe d’hommes, et où le concessionnaire est haut placé dans le classement, c’est très difficile.

Dans un autre concessionnaire, j’ai même eu de la difficulté à m’asseoir avec mes pairs dans les différents comités, parce que j’étais très performante et ça les dérangeait. Il y a une grosse part de politique dans ce milieu-là, et comme on ne veut pas se mettre nos collègues de travail à dos, bien on joue avec leurs règles du jeu. Malgré toute la crédibilité que j’avais accumulée avec les années, je n’ai pas pu franchir, à cette époque, les portes du « man’s club ».

 CCIRS : Comment vous est arrivée l’occasion de joindre l’équipe de Mercedes Rive-Sud ?

PD : Je suis directrice générale depuis 2007. Ça faisait 12 ans que j’étais chez Groupe Scotti, mais comme ils vendaient leurs actifs, je ne me sentais plus à ma place. Le téléphone a sonné au bon moment parce que j’étais en réflexion pour changer d’endroit. J’ai débuté le 1er mars 2019.

 CCIRS : Où vous voyez-vous dans l’avenir ?

PD : Je me donne 10 ans comme directrice générale et ensuite, j’aimerais avoir des parts dans la concession. Ultimement, j’aimerais devenir consultante et rester active dans le concessionnaire. Mon rêve serait de devenir actionnaire minoritaire.